Agra: Arjun, l’inconnu qui m’a rappelé qui j’étais vraiment!

19h30

Mardi 23 Août 2016, Agra
Je suis toujours en Inde. Après cinq heures de train au départ de New Delhi, j’arrive à la gare toute excitée à l’idée de voir une merveille du monde de plus, le Taj Mahal.
Toujours le même stress des transports, la même peur d’au mieux se faire arnaquer et au pire se faire kidnapper…

Un homme d’âge mûr, la soixantaine me propose de me conduire en Moto Rickshaw à mon logement. Il était souriant et m’a inspiré un minimum de confiance. C’était quelque chose, croyez moi!

Après quelques jours passés en Inde je devenais littéralement paranoïaque et voyais le mal partout. Pourtant, j’étais loin de m’imaginer en montant dans ce Rickshaw à Agra que ce vieil homme allait donner un autre ton à mon voyage mais surtout me donner une vrai leçon de vie.

19h50

Mes quelques jours passés à New Delhi m’avaient préparé aux arnaques habituelles des chauffeurs de Rickshaw. J’étais bien déterminée à ne pas me laisser faire. J’avais donc pris toutes les précautions possibles pour ne pas me faire arnaquer. Et à ma grande surprise, ce sont ces « précautions » même qui m’ont fait vivre des moments terrifiants et angoissants en me laissant imaginer que le pire pouvait m’arriver.

La veille de mon voyage pour Agra, mon doute et ma paranoïa m’avaient poussé à contacter mon hôte pour vérifier avec lui l’adresse exacte de son auberge. Je lui ai demandé par la même occasion de m’envoyer sa géolocalisation.

Ainsi, je pensais être parée contre toute possibilité d’arnaque. Il me suffisait de cliquer sur le lien reçu et de suivre le trajet que m’indiquait Google Maps pour m’assurer que j’étais sur le bon chemin. L’équation semblait très simple. Pourtant, en réalité elle ne l’a pas du tout été.

Et voilà, l’histoire se répétait à nouveau. En montant ce Moto Rickshaw je m’embarquais dans une nouvelle aventure effrayante, mais cette fois-ci je l’avais quelque part cherché.
Néanmoins, de cette histoire je ne tire que le meilleur. J’ai pu grâce à cet homme me rappeler qui j’étais vraiment et ce en quoi je croyais fermement.

20h05

Nous étions en route pour « Vibhav Nagar », le quartier de mon hôte. Ah, « Vibhav Nagar »… À chaque fois que je prononce ce nom, que je l’écris ou que j’y pense, j’en ai des frissons.
Avant de monter dans son Rickshaw, Arjun m’avait demandé trois fois si nous allions bien à « Vibhav Nagar ».

Après lui avoir confirmé que oui, nous nous étions tous les deux mis d’accord d’y aller directement sans s’arrêter à une agence de voyage ou un magasin de souvenir sur le chemin. (Il est en effet, très commun pour les chauffeurs de taxi ou de Rickshaw de prétendre ne pas savoir où aller. Puis, ils conduisent les touristes à une agence de voyage qui tente par tous les moyens de leur vendre des circuits pré organisés ou des souvenirs au triple du prix initial.)

Il commençait à faire nuit. Le soleil c’était couché, et nous nous dirigions vers des ruelles bien sombres. Je ne quittais pas Google Maps des yeux. J’étais envahie par un sentiment de peur. J’avais peur de l’inconnu, du noir, des gens, de tout! Cependant, le fait d’être sur le bon chemin me rassurait tant bien que mal.

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20h18

Le doute commençait à m’envahir. Cela fait plus de six minutes qu’Arjun, le chauffeur avait pris un chemin différent que celui que Google m’indiquait. Pourtant je ne disais rien. J’attendais de voir si nous allions dans une direction vraiment éloignée de ma destination ou si tout simplement, ce pauvre gentil homme empruntait un chemin plus rapide, pour éviter peut être les embouteillages.

Les minutes passaient et semblaient de plus en plus longues. Onze minutes déjà.

Onze longues minutes que nous allions vers le nord-est de la ville alors que ma destination se trouve plus à l’ouest. Je ne pouvais plus garder mon calme. L’effroi me tétanisait. Je ne savais plus quoi penser.
Où cet homme m’emmenait-il? Pourquoi avoir pris la direction opposée de celle qu’il devrait prendre? Quelles sont ces intentions? Que faire?

20h22

Mon inquiétude était tellement grande que j’en ai eu le vertige. Puis, mon bon sens a repris le contrôle sur mon affolement et j’ai décidé de confronter cet être et lui demander pourquoi nous allions dans la mauvaise direction.
Un interminable dégueuli de mots sortait de ma bouche. La panique faisait de moi une vraie machine à reproches. Je blâmais cet être qui m’avait inspiré confiance. Pire, je me blâmais moi même d’avoir cru en lui, d’avoir cru qu’il était différent. Je me sentais trahie, faible, impuissante et surtout en danger.

« Arrête tout de suite ce Moto Rickshaw! Tu es vraiment malhonnête!!!! Nous nous étions pourtant mis d’accord d’aller directement à l’auberge! Où m’emmènes-tu? Ceci n’est pas la route à prendre pour aller à « Vibhav Nagar »! Je descend tout de suite, et crois moi je ne te donnerais pas un Roupie! Je sais exactement ce que tu es entrain de faire! On me l’a déjà fait, alors arrête cette supercherie et emmène moi à l’auberge ou laisse moi descendre tout de suite!  »

Je braillais tel un âne en rut. Mon ton de voix accusateur, mes mains tremblantes et mon regard chargé de réprobation ont réussi à exacerber Arjun. J’avais brillamment mis en place une atmosphère pesante, altérée par un zèle d’anxiété, une absence totale de confiance et un excès de jugements hâtifs.

20h23

Après s’être disputé pendant quelques minutes et avoir glorieusement adopté une position défensive l’un envers l’autre, nous continuons à rouler.

Quelques minutes plus tard, Arjun s’arrêta pour m’expliquer que nous arrivions à destination « Vibhav Nagar » le fameux quartier où mon auberge se trouve. Il s’était calmé et me parlait de façon polie et formelle. Il m’expliquait qu’il ne savait pas exactement où se trouvait mon auberge mais que nous étions déjà dans le quartier de « Vibhav Nagar ».
Pourtant, je sentais que quelque chose clochait. Mais comment cela était-il possible? Pourquoi mon GPS m’indiquait que j’étais à 8km de ma destination? Pourquoi je ne vois que des petites villas autour et rien d’autre? Où est l’auberge?

Il faisait noir; il n’y avait pas de lumière dans la petite rue où Arjun c’était arrêté. Ca ne pouvait pas être « Vibhav Nagar ». J’en étais convaincue au plus profond de moi même.

Mais pourquoi étais-je si sûre de quelque chose dont je n’avais aucune connaissance?

Je n’avais jamais visité Agra… Je ne connaissais rien de cette ville… Et pourtant j’étais persuadée que nous n’étions pas à « Vibhav Nagar »…

L’humain n’est il pas fascinant et intrigant par moments? J’ai préféré avoir confiance en une application(maps) plutôt qu’en un humain qui était en chair en os devant moi. Et j’étais loin de m’imaginer que je le regretterais amèrement.


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20h35

Cela fait presque un quart d’heure qu’Arjun a consenti à continuer de conduire et suivre mes indications. Nous suivions mon GPS qui nous emmenait vraisemblablement dans un coin perdu en dehors de la ville d’Agra. Mais je n’en étais malheureusement pas consciente à ce moment là. Tout ce que je voyais c’était des ruelles sombres et de plus en plus vides.

Arjun se retournait toutes les cinq minutes pour me dire que bientôt il arrêterait de conduire et que je devrais chercher un autre moyen de m’emmener à ma destination. Je lui répondais trois fois d’un même ton sec et agressif: « Continues de conduire, je te dirais quand t’arrêter ».

Flop!
Flop total! Et voilà. Arjun était en colère et cette fois si pour de vrai. Il hurlait de toutes ces forces des phrases en Hindi que j’étais incapable de comprendre. J’étais face à un homme furieux qui devenait presque incontrôlable. Il ralentissait de plus en plus son Moto Rickshaw et continuait de crier sans s’arrêter. Cette belle âme qui jusque là a été patiente avec moi et avait supporté mon absurdité pendant presque une heure n’en pouvait simplement plus…

20h41

Le Moto Rickshaw s’arrête et mon cauchemar commence dans une sorte de piste non goudronnée et mal éclairée. C’était le grand vide autour de nous. Quelques maisons en mauvais état et une épicerie à une centaine de mètres de nous.

Descendre du véhicule et laisser partir Arjun sans moi n’était pas une option. J’étais au milieu de nul part et il m’était impensable d’y rester seule. J’étais confuse et perdue entre tant de sentiments. Je voyais en Arjun mon ennemi et mon messie à la fois. Il était mon problème et ma solution, mon bourreau et mon sauveur.

Puis, juste au moment où je pensais que je ne pouvais pas tomber plus bas, un groupe de 7 jeunes Indiens est sorti de nul part ( et c’est le cas de le dire) et a encerclé le Moto Rickshaw.

Ils me portaient tous un regard pervers et haineux. J’allais servir de steak à une meute d’hyènes affamées…
Peur ? Panique? Angoisse? Frisson? Effroi? Horreur?
Aucun de ces adjectifs ne s’avérait assez juste, assez fort ou assez pertinent pour exprimer réellement ce que j’ai pu ressentir pendant ces quelques secondes qui m’ont semblées interminables.
Vous dire que j’ai eu la peur de ma vie me semble très euphémique. Je me suis imaginée le pire pendant quelque fractions de secondes. Puis je ne ressentais plus rien, le vide, un simple vide…

J’ai perdu la notion du temps…

Je n’étais vraisemblablement pas la seule à être effrayée par tout cet attroupement incongru et inquiétant. Arjun s’étant probablement senti tout aussi en danger que moi s’est empressé de quitter ce cortège non désiré qui nous escortait depuis quelques secondes.
Et voilà, en un espace temps record, cette personne que je considérais jusque là comme malfaisante se transformait en bienfaiteur, en protecteur, en ange tutélaire.

Nous étions maintenant loin de ces vautours et rebroussions chemin. Cette fois ci je me laissais faire. Je ne disais rien, je n’osais même plus regarder mon GPS. Ma honte me consumait. Comment ai-je pu en arriver là? Je reproduisais exactement les mêmes comportements qui chez les autres m’agaçaient, m’exaltaient, m’exacerbaient. J’ai mis tout et tout le monde dans le même sac. J’ai jugé et blâmé une personne sans aucune raison valable.

Au lieu de m’ouvrir à cet homme et lui faire confiance je l’ai empoisonné de mon énergie négative me rendant néfaste pour lui et pour moi même. Mais pourquoi tout cela? J’étais pourtant la première à être persuadée que l’intention que l’on met dans nos actions compte énormément. Comment ai-je pu omettre de considérer que la localisation que mon hôte m’avait envoyé pouvait être erronée?

21h12

Pendant les 20 minutes passées, je ne pouvais penser à autre chose. Je me sentais petite, exécrable, misérable et presque mauvaise. Mes actes me répugnaient et je réfléchissais vainement à un moyen juste de m’excuser et me rattraper au pré de ce pauvre homme à qui j’en avais fait voir des vertes et des pas mûres.

Comment lui expliquer que la peur et mes expériences passées m’avaient aveuglé? De quelle façon allais je lui justifier mon acte stupide de m’être obstinée à suivre un trajet qui menait vers une fausse adresse? Comment pourrais je m’excuser pour tout ce que je lui ai fait subir?

Nous arrivions enfin à l’auberge. Tout ce stress m’avait exténuée. Je descendais du Rickshaw le visage rouge de honte. J’ai tenté tant bien que mal de m’excuser au pré d’Arjun et saluais froidement mon hôte. Je rejoignais calmement ma chambre sans même dire à mon hôte qu’il m’avait royalement induit en erreur avec la géolocalisation qu’il m’avait envoyé. J’avais hâte de prendre une douche et laver tout se stress et cette angoisse qui m’avaient rongé.

Quelques heures passèrent depuis mon arrivée à l’auberge

Cette nuit là, le sommeil tardait à venir. Je ne cessais de repenser à tout ce qui s’était passé et tout le préjudice que je m’étais causé à moi même et à cet homme. Je remettais en question tous mes jugements et toutes mes généralisations par rapport aux chauffeurs de Taxi en Inde et aux hommes Indiens. Il est vrai que beaucoup d’entre eux sont mal intentionnés et pourraient facilement me faire du mal mais ce ci n’est pas une règle générale qui s’applique pour tout le monde. Je me ressassais sans cesse ces mots que j’ai eu tant de mal à exprimer et faire sortir de ma bouche.

Aujourd’hui je te le dis haut et fort:  Ode à toi Arjun, mon ami, tu n’imagine surement pas de là où tu es l’impact que tu as pu avoir sur mon séjour en Inde. Grâce à toi j’ai pu m’ouvrir à recevoir le meilleur des gens que j’ai croisé sur mon chemin. Tu m’as rappelé qui j’étais vraiment et ce en quoi je croyais fortement: l’Homme, l’autre, mon prochain. Namaste mon ami!

Sur cette note positive mes chers amis, je vous laisse découvrir la ville d’Agra en image.

Clickez sur une des images pour l’agrandir et accéder à la galerie
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Et vous? Quel a été votre expérience de voyage la plus effrayante? Avez vous déjà rencontré un inconnu qui a eu beaucoup d’impact sur votre façon de penser? Racontez moi vos histoires en commentaire. Je serais heureuse de les lires et y répondre.

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Écrit par
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4 Commentaires

  • Mieux vaut la honte que le danger, je n’aurais pas réagis autrement, c’est tout a fait humain de douter, après tout quand on est dans un pays étranger on se sent automatiquement mal a l’aise et c’est avec le temps que l’on s’adapte

    • Merci Ziad pour ce commentaire! En effet le doute est humain. Néanmoins, il est important de se remettre en question lorsqu’un de nos comportement dépasse les limites ou heurte les émotions et ressentis de ceux qui nous entoure. Cette aventure a été une vrai lesson de vie et je suis heureuse de l’avoir vécu! Plus de peur que de mal!

  • Namaste Aïda 🙂 j’ai la chair de poule .. Ton récit m’a marqué, je me voyais là-bas entrain de vivre ce que tu as vécu … Ta peur, ton inquiétude et enfin ta honte et ton soulagement. Contente que tu t’en es sortie indemne puis bon courage pour tes prochaines aventures <3

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