Immersion culturelle en Inde: Vârânasî, la cité des pèlerins

Tout commence par un voyage la nuit du 24 Juillet 2016 de Agra à Varanasi (Bénarès) dans l’état de l’Uttar Pradesh.
Minuit passée… Cela fait plus de deux heures que j’attends désespérément que mon bus arrive. En face de moi un couple d’allemands, assis sur un sofa miteux formant à lui seul un microcosme d’une variété innombrable d’insectes qui fascinerait n’importe quel entomologiste qui se respecte. Une jeune fille aux cheveux courts, coupe au bol, une teinture orange safran ; son compagnon, un grand blond, la panse du buveur de bière, et quelques coups de soleil sur les parties non couvertes par son T-shirt gris. À ma droite, deux Américaines, le visage fermé, les cheveux sales, très sales, l’air désespéré.
Je regardais ces voyageurs et voyageuses qui attendaient avec moi, et je me rendais compte à quel point ils avaient l’air exténués, à bout de nerf, dégoutés. Je me demandais si j’allais moi aussi avoir ce petit air de zombie frustré un peu baba cool après quelques jours passés ici dans ce pays qui m’a jusque là mal traité. Quelles sont leurs histoires ? Pourquoi l’Inde? Pourquoi Varanasi ?
Le bus arrivait enfin mettant fin à tous mes questionnements. L’optimiste que je suis jubilait à l’idée de fermer les yeux à Agra, et les ouvrir à Varanasi. Mais je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait en réalité…
Et ma deuxième aventure dans les transports en commun en Inde commençait. Je me retrouvais pendant plus de 16 heures dans une espèce de cage aménagée en couchette à l’hygiène très douteuse avec nulle autre option que de rester allongée pendant tout le trajet. 16 heures.
Oui plus de 16 heures de trajet, où j’ai eu le temps de dormir, lire, écouter de la musique, écrire, réfléchir, m’ennuyer, reprendre ma réflexion, re-dormir, me réveiller, demander 6 fois au chauffeur si l’on était presque arriver, imaginer Gandhi en Drag Queen, et à quoi ressemblerait Donald Trump sans ces séances UV et sa perruque, puis en rigoler comme une gamine pendant quelques secondes avant qu’un frein sec me rappelle à ma dure réalité. 16 longues heures où je me suis amusée à chanter toutes les chansons de Sertanejo que j’ai appris en vivant au Brésil en tentant vainement de danser dans ma position mi assise, mi allongée pour faire circuler le sang dans mon corps qui était inerte depuis longtemps, bien trop longtemps.

Voyage Bus Inde

16h30 (J+1)

Arrivée à la gare routière de Varanasi. L’histoire se répète. J’étais entre les mains d’un chauffeur de Rickshaw malhonnête et d’un propriétaire d’auberge rongé par l’âpreté au gain. Fort heureusement, mon expérience à New Delhi m’avait bien préparée à ce genre de situation à laquelle je ne me suis pas laissée faire.
L’excitation de découvrir Varanasi, ces pèlerins ainsi que ces temples était à son comble. Malgré l’épuisement que je ressentais suite à mon long, très long voyage je n’arrivais pas à dormir, mon esprit vagabondant dans tous les sens, pensant au lendemain et à tout ce qui m’attendait.
Après un réveil plutôt difficile, un petit déjeuner pourri et deux tasses de Chai, je me rendais aux Gaths de Varanasi pour voir pour la première fois le fleuve du Gange. Pendant le trajet en Moto Rikshaw de vieux souvenirs de collège remontaient, et je me revoyais assise au deuxième rang, côté fenêtre écoutant mon professeur de géographie parler du Gange, un des plus grand repères terrestres de la planète et lieu de purification de tous les pêchers pour les Hindous.
Après 20 minutes de trajet, j’arrivais enfin à la vieille ville, où l’accès est réservé aux piétons et à quelques motos. J’arpentais ces ruelles sales, à la recherche de l’Assi Gath bercée par les chants et les Mantras continus des pèlerins avançant en groupe habillés tous de couleur orange dont le ton variait parfois en fonction de leurs castes. Ils étaient là à accomplir le voyage de toute une vie, et j’étais là à les observer tout en évitant de marcher sur une bouse de vache.

holy-cow-varanasi-india

Comment pouvais-je être au coeur de l’Hindouisme, à la source de la source, à Varanasi, la ville de tous les excès religieux, la ville symbole de la spiritualité, la ville où chaque fervent Hindouiste rêve de finir sa vie la dédiant à Shiva et être incinéré dans les eaux du Gange pour atteindre le Nirvana et ne rien ressentir, à part la peur d’être touchée par les eaux du fleuve et développer une maladie grave de la peau et l’angoisse de glisser et m’enduire de saleté et de merde, et croyez moi, dans ce cas bien précis, je pèse mes mots, la merde, la vraie.
Sous la pluie, je les regardais: ces buffles, ces hommes, ces femmes, ces enfants ,toute une marée humaine, défiler sur les Gaths, se baignant dans ces eaux extrêmement sales du Gange en espérant se purifier de tous leurs pêchers accumulés durant leurs vies précédentes et actuelles. Rien que ça…
Ils étaient là, venus de tous horizons, de tous les coins de l’Inde, partageant tous un but commun, se purifier l’âme, ou pour certains simplement faire leur lessive. Après tout, rien de mieux que le fleuve le plus sale et le plus pollué de la planète pour laver ses vêtements.
Je restais perplexe face à tout ce spectacle devant moi. Comment un peuple pouvais accorder tant d’importance à la purification de l’âme, aux bonnes actions, à la pleine conscience de l’esprit, tout en organisant la société en Castes. Comment pouvaient-ils croire être bons tout en rejetant toute une frange d’individus : Les « Dalits » ou « intouchables », leur imposant les tâches les plus dégradantes, les excluant totalement de la société en les laissant pourrir dans des conditions de vie des plus déplorables simplement pour se protéger de leur impureté? Quel type de religion sépare les riches et les pauvres même après la mort ?
En effet les  familles des défunts n’ayant pas suffisamment d’argent se retrouvent dans l’incapacité  d’acheter du bois en quantité suffisante pour pouvoir brûler le corps en entier se retrouvant à jeter des cadavres partiellement brûlés dans le fleuve sacré. Il en faudrait des milliers d’autre fleuves sacrés pour purifier le pêcher de tant de discrimination.
Je décidais d’arrêter de juger leurs actes et de prendre du recul face aux frustrations que je ressentais. Je continuais ma balade dans l’espoir de trouver un endroit frais où faire une pause et planifier le reste de ma journée.

Varanasi Assi Gath

Après une pause bien méritée au Blue Lassi Shop, réputé pour servir les meilleurs Lassis d’Inde, je me suis jurée de ne plus analyser tout ce que je voyais autour de moi et de simplement observer, sans trop d’implication personnelle les rites, et les coutumes locaux.  J’essayais de mettre de côté mes  attentes qui jusque là ne m’avaient apporté rien de plus qu’une grande frustration de ne pas ressentir cette chose si spéciale dont tous les voyageurs parlent avec ferveur dés qu’on invoque l’Inde.
Je dégustais lentement mon Lassi banane chocolat tout en regardant les centaines de fotos collées aux murs de ce petit café en plein milieu des bouses sacrées et de fumée d’encens. Je bougeais le haut de mon corps assis au rythme de la musique tout en regardant avec attention le propriétaire des lieux préparer ces boissons lactées quand un fort chant de groupe a attiré mon attention.
Quatre hommes, les traits graves, les pas coordonnés, portant un corps, enveloppé d’un tissus orange, le visage découvert. Le vieil homme avait sans doute réalisé son rêve, mourir dans la ville sacrée de Varanasi, et rompre le cycle sans fin de réincarnation. Son visage était si serein, si paisible . Son corps sans vie défila rapidement devant le café, attirant les regards stupéfaits de tous les touristes et voyageurs.
Je restais sans voix face à ce que je venais de voir, et je n’avais ni le courage de les suivre, ni le coeur à rester assise à déguster mon Lassi après la scène à laquelle je venais d’assister. Je restais là, debout, mon esprit dans le vide, pour quelques secondes qui m’ont parut si longues avant de me diriger vers le Manikarnika Gath (Burning Gath) où tous les rituels de crémations à Varanasi prennent place à l’heure du lever et du coucher du soleil.

Et voilà, elle était là devant mes yeux la scène tant attendue de crémation, ce fameux rituel qui m’a fait voyager des milliers de kilomètres et passer d’innombrables heures dans les transports en commun à imaginer le déroulement des cérémonies. Je regardais ce groupe d’hommes, se faire raser les cheveux en gardant un seul épis à l’arrière puis installer le corps sur le bucher, avant de se mettre tous à tourner en ronde autour de lui. Leurs visages étaient graves et la tristesse pouvait se lire dans leurs yeux mais personne ne pleurait.

Les Hindouistes croient que les pleures retiennent l’âme des morts, ne les laissant pas partir au Nirvana, alors aucune femme n’est autorisée à assister à la cérémonie au risque de pleurer.
Je les regardais tourner autour du corps du défunt et je réalisais que peu importe la religion à laquelle nous croyons, le pays dans lequel nous vivons, la culture dans laquelle nous avons grandi, les rituels de mort se ressemblent tous, et sont là pour partager une souffrance commune en trouvant du réconfort au près des personnes qui ressentent la même peine et la même douleur de la perte d’un être cher. Un événement marquant, qui a pour principal but d’aider à faire son deuil.
Marquant, oui, ces offices l’ont été pour moi en tout cas. Cette cérémonie organisée et codifiée peut être extrêmement choquante pour les âmes sensibles, et même pour les plus préparés d’entre nous.
Après avoir tourné en rond autour du corps , un des hommes présent de la cérémonie s’est baigné dans les eaux sacrées du Gange puis a ouvert la bouche du défunt pour y mettre du riz et des graines de sésame avant de prendre une machette puis d’un geste brusque fracasser  son crâne, libérant ainsi son âme . Puis, il alluma le bucher, laissant le corps se calciner devant les yeux de tous ceux qui étaient présents.
Une scène vraiment chargée d’émotions en tout genre qui restera gravée dans ma mémoire à tout jamais. Puis pendant de longues minutes, je regardais les offices se répéter pour des corps différents, avec des familles différentes, mais toujours la même façon codifiée de procéder.

Varanasi-Ganga-RiverJe regardais ces corps se faire incinérer, par le feu sacré allumé par Shiva, en réalisant à quel point l’humain est petit, faible, insignifiant. Je voyais la mort de mes proches, je voyais ma propre mort arriver à grand pas vers moi. Je m’imaginais être un corps sans vie, je me sentais vide, je me sentais mal.
Milles et une pensées me traversaient l’esprit. Je ne voulais pas passer une fois de plus par la perte d’un être proche. Les larmes ont commencé à couler, mon coeur palpitait, j’étouffais, je me sentais coupable de pleurer, ayant peur de rompre un de leurs rituels. Cette douzaine de cadavre brûlant à feu vif, me rappelait exactement pourquoi je m’étais lancée dans cette aventure et pourquoi il était important de vivre sa vie comme on l’entend avant que tout ne s’arrête.
Je regardais ces flammes et je replongeais dans une tristesse, une peur profonde non pas de mourir, mais de voir mes proches mourir. J’étais face à une de mes plus grande angoisse que j’avais longtemps chercher à chasser mais qui grandi encore au fond de moi. Et mon angoisse n’a fait que s’amplifier à la vue du bucher s’éteindre laissant place à l’os du flanc qu’un des vendeur de bois jeta sans témoigner aucune émotion dans les cheveux de Shiva, comme on jetterait un pot vide de yogurt dans une poubelle.
Comment cet homme pouvait-il côtoyer la mort tous les jours, la voir, la toucher, la sentir et en être si détaché? Quel est son secret? Arriverais-je un jour à accepter l’inéluctabilité de la perte de mes proches? De ma propre perte? Puis, toutes mes pensées ont été interrompues par un énième vicieux,  portant des bijoux plein les mains, un de plus, totalement corrompu par le tourisme industriel, cherchant à profiter d’un moment de  faiblesse totale pour soutirer de l’argent à toux ceux qui se trouvaient autour de lui. « Donne moi de l’argent, donne moi de l’argent, fait un don fait un don »  répétait-il.
« Un don « , ces mots sonnaient tellement faux de sa bouche. Il continua de crier en boucle, « faites vos dons faites vos dons » avant qu’une Espagnole le remette à sa place lui réexpliquant d’un ton stricte le concept même du don en lui demandant poliment de se taire, de respecter les offices et de nous laisser profiter du moment présent en paix. Il s’en alla nous maudissant et nous répétant que les hindouistes croient fortement en le karma et que nous paierons pour nos actes. Il oubliait simplement que selon sa logique lui non plus n’y échapperais pas.
Aucun d’entre nous n’y échappera…

varanasi Gath

NB: Photographier les scènes de crémations est strictement interdit pour le grand public. Je n’ai donc pu prendre aucune image ou vidéographie des offices pour illustrer mon article.
Nous sommes tous différents les uns des autres. Nous ressentons, voyons, expérimentons les choses de façons différentes et qui nous sont propre. Cet article a été écrit pour partager mon expérience, vous faire part de mes émotions et mes ressentis à un instant T. Il n’est nullement une critique des rites ou pratiques religieuses Hindouistes.

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